Le Petit Prince des aulnes
(carduelis spinus)
Voilà bien, une espèce fort intéressante, dont le comportement grégaire nous renseigne, à bien des égards, sur sa capacité étonnante à communiquer.
Le mâle de tarin, puisque c’est de cette espèce dont il s’agit, est facilement reconnaissable à sa calotte et son menton noirs. Ses couleurs au niveau de la poitrine sont plus vives que celles de la femelle. Les deux sexes ont le croupion jaune et une barre alaire de cette même teinte bien marquée, ainsi qu’une tâche jaunâtre à la base des primaires. On observe des variations de teintes à l’automne, les juvéniles n’ayant pas encore mués complètement. Le vol laisse apparaître le jaune vif en forme de triangle sur les côtés de la queue.
Celle-ci est fourchue, comme la plupart des oiseaux appartenant au groupe des tarins (linotte, serin, venturon, sizerin…)
Comme nicheur, le tarin est relativement peu présent en France, non plus dans la partie sud de l’Europe.
En revanche, à l’automne, le tarin des aulnes, arrive en hordes pacifiques des pays nordiques, – leur nombre en impose-, parfois par milliers de becs affamés certaines années.
Au cours de leurs déplacements migratoires, cet oiseau mesurant à peine plus de 11/12 cm, la taille en gros d’une mésange bleue, émet divers cris dont un très reconnaissable, que l’on entend également, lorsque, sur son aire d’hivernage où il est très mobile, il veut appeler ou garder contact avec les siens.
Ce cri d’appel, émis en vol ou posé, est un tiuu plaintif, un peu nasillard, au motif descendant bref et répété.
Ainsi que son nom vernaculaire l’indique, le tarin fréquente en hiver la ripisylve, recherchant particulièrement les aulnes dont il affectionne les graines énergétiques.
Eloigné des cours d’eau, il cherchera sa pitance ailleurs ; heureusement, d’autres attraits de becs l’attirent, notamment les graines de sapins et autres conifères.
Essentiellement granivore, le tarin ne dédaigne pas non plus les graines de bouleaux qu’il extrait des chatons femelles en compagnie des chardonnerets, auxquels il se mêle volontiers, si ce n’est l’inverse.
Il n’est pas rare de voir un seul de ces arbres, aulnes ou bouleaux, remplis de plusieurs dizaines de convives ailés, décortiquant avec application les chatons ployant sous la convoitise.
Tout « dextert » qu’il soit, le bec effilé du tarin laisse échapper quelques graines. Sans le savoir, l’oiseau participe à la régénération de la forêt.
Quand il neige de petits débris légers, emportés au gré de la bise, nous savons avant même de les avoir vus, qui tarins, qui sizerins, qui mésanges bleues, pourvus d’habiles tarses, s’affairent, dans des positions qui nous sembleraient inconfortables. Tête en bas, accrochés aux branches des aulnes sombres ou se balançant aux brindilles des bouleaux lumineux ; qu’importe la lumière tamisée ou soit vive, si celle-ci est nourricière.
Il y a pourtant un autre signe avertisseur : l’entreprise de décorticage battant son plein, on entend des petits crépitements venant des coups de bec des tacherons à plumes. C’est ainsi, que les tarins se réchauffent, et pendant que, parmi les ramures animées, crépite le feu de joie, le « curieux de nature » entendra des petits cris de contentement. Peu importe les bruits environnants ; les chutes d’eau impressionnantes, alimentées par les pluies diluviennes, n’interrompent pas leur incessant labeur.
Mais, alors que rien ne semblait prédire, les tarins formant essaim compact, s’envolent tout à coup avec fracas ; une telle masse d’oiseaux, peut-être deux cents, devenant une seule et même entité sonore. On a du mal à les suivre, tant ils sont rapides, et d’une précision diabolique.
N’est-il pas étonnant que cette espèce, très mobile, adopte subitement une formation resserrée, chacun quasiment blotti contre l’autre se déplaçant avec le même élan, dans un même mouvement, avec une virtuosité incroyable, rien qu’au signal d’un cri de ralliement partagé entre tous. Quels en sont les initiateurs ? Quel est le motif qui décide alors de l’envol soudain ? Une séance aérienne « d’entraînement militaire », un mouvement de troupe pour prévenir l’attaque d’un éventuel prédateur ?
Quelques instants plus tard, ils se posent un peu plus loin, trouvant dans les branches d’aulnes l’accueil d’une nouvelle auberge quatre étoiles. Comme si de rien n’était, ils reprennent tranquillement leur occupation principale : becqueter !
271220 tarins des aulnes, étang du Fau, Cantal – Denis Wagenmann
Petit guide d’écoute :
la prise de sons ci-dessus a été effectuée autour de l’Etang du Fau, jouxtant la petite ville de Maurs dans le Cantal. Quelques jours auparavant, nous avions repéré la présence de tarins des aulnes en nombre important.
D’abondantes pluies avaient gonflé le lit de la rivière de la Cère, passant à proximité de l »étang. Une chute d’eau avalait les mètres cubes bruyamment, sans empêcher le bavardage des tarins en train de se nourrir agrippés aux branches des aulnes.
Nous pouvons entendre d’ailleurs comme un crépitement provenant des petits coups de leurs becs.
A environ 4’30, le groupe s’envole « d’un seul oiseau » ; on l’entend tourner avant de s’éloigner de quelques encâblures. Une bergeronnette grise arrive et siffle la fin de la « récréation ».
Hormis ces deux espèces, l’on peut entendre également quelques autres cris : rouge-gorge, troglodyte, pic vert…
Mais tout ceci ne serait rien, sans cet extraordinaire événement qui semble-t-il affecterait bien des espèces, lorsque réunis au banquet du jour, deux ou trois des invités, – il faut bien un témoin, ou plus sûrement un autre prétendant-, s’extraient subrepticement de quelques mètres, juste pour se rapprocher et faire un peu plus connaissance.
A l’abri de l’agitation arboricole, un des acrobates, rassasié de samares, est pris d’une autre frénésie. Au coeur de l’hiver, le voilà, tout frétillant, qui entonne un air, non pas un air à boire ou à manger, juste une strophe ou deux, une bribe de chant d’amour.
Ce susurrement enjôleur ne dure que quelques instants, mais, si la compagne l’agrée, il est d’une importance capitale : il scelle l’union sacrée entre deux êtres.
271220 chant et cris de tarins des aulnes, chant de grive draine le Fau – Denis Wagenmann
Certains ornithologues pensent, non sans justification, que c’est l’acte sexuel qui, évidemment, marrie le couple ; le mâle assurant ainsi la paternité de sa future descendance.
Mais nous parlons d’autres choses en disant que le chant, cet hymne à la vie et les parades nuptiales qui en découlent, en sont l’acte fondateur, l’intention première et le mobile créateur.
Plus tard, au milieu de tant d’autres, ils parcourront ensemble des milliers de kms sur le chemin du retour, réunis par le même besoin impérieux, celui de donner la vie, quelque part dans une forêt scandinave ou d’ailleurs.
Là, « le Petit Prince des aulnes », pourra mêler sa voix à la « Turangalîla-Symphonie » cosmique.
Voilà, pourquoi si tôt réunis, dans une bouffée d’ocytocine bienfaisante, « les amoureux s’envolent » !
Le sceptique incrédule, haussant les épaules, pourrait penser qu’il est vain à ce qu’un couple s’apparie à un moment si éloigné du renouvellement printanier. Ce serait trop risqué !
Or, il n’en est rien : l’amour a aussi ses raisons !
Nous ne prétendons pas qu’il y aurait là sous une si petite boîte crânienne, au demeurant bien faite, une préméditation temporelle au sens d’une planification par étapes, laquelle d’ailleurs pourrait s’avérer in fine désastreuse Mais, force est de constater que, dans tout le règne animal, il y a comme une pulsion de vie irrépressible, une énergie intérieure, surpassant le déterminisme biologique, qui pousse les individus à faire des choix de tous les instants ; cette énergie impérieuse, dans l’immédiateté du besoin, ne laisse pas de place à la tergiversation. Il en va de la survie des individus comme de l’espèce.
Non seulement, l’amour donne des ailes, mais il procure l’avantage du coup d’avance, comme dans une partie d’échec, à condition de bien choisir la pièce et de décider, au moment opportun, de la pertinence de son déplacement.
Or, Il faut se souvenir, qu’au septentrion la période propice à la nidification est de courte durée, quelques semaines tout au plus. Si une paire déjà formée arrive sur son aire de reproduction, le mâle n’ayant pas le tourment de « voler après la gueuse », peut dès lors, avec sa partenaire saisonnière, accomplir l’acte reproducteur.
Tous deux pourront alors s’enquérir du meilleur endroit pour le nid. En ce qui concerne les tarins, une ramure haute de conifère fera l’affaire. Restera à le bâtir, « en forme de coupe profonde, solide et soigné, composé de ramilles sèches, de mousse, avec une garniture de radicelles de crins, de cocons, de plumes » (P.Géroudet).
C’est la femelle qui « s’y colle », encouragée par le chant et le spectaculaire vol nuptial de son compagnon-artiste. Puis, la tâche de la couvaison, échoira aussi à la femelle alimentée par le mâle, -l’incubation durant 13 jours environ. Ce sera au lot des deux parents, -c’est vrai chez beaucoup d’espèces d’oiseaux-, de nourrir les 3 ou 4 petits qui s’envoleront au bout d’une quinzaine de jours.
Puis, dès mi-septembre, une impulsion nouvelle incitera les bandes vagabondes de tarins, et autres fringilles à quitter les pays « des sept bœufs de labour »…
Denis Wagenmann le Puech 27/01/2021