« Au petit bois d’Etre »
Sente 1 : au creux de la forêt
La Quête d’un autre temps
« Au petit bois d’Etre »,
nous avons rendez-vous ce soir.
Seul, il va de soi.
Au plus tard, une heure après le coucher du soleil.
En ce début de nuit, les trois-quarts de lune dessinent la silhouette des ombres sur notre chemin.
Mais voir n’est pas suffisant : écouter tend notre sensibilité plus sûrement que la peau d’un tambour.
Rester aux aguets, afin que la douce « Esperanza » se pâme dans le moindre de nos cellules éveillées. Car, la nuit, le moindre bruit prend des dimensions impressionnantes.
La vue interprète plus qu’elle ne comprend tandis que l’ouïe déclame un art divinatoire sublime, celui des fourrés et des sentes moussues ! Un bruissement de feuilles sèches abolit les distances, autant qu’il rompt les séparations. Nous sommes cette feuille, cette brise, ce pas d’un autre s’incrustant dans le repaire des ombres …
Que venons-nous chercher, là, en cet instant de tous les instants, irrésistiblement ?
Là se trouve, au creux d’une forêt, la quête d’un autre temps, d’une autre vie, d’une autre pensée aux contours élargis.
La pénombre a cela d’étrange qu’elle vous fait perdre vos repères, comme lorsque, pris dans un épais brouillard, vous tournez en rond.
Tout ce que vous avez d’humain n’a plus de sens en ces parages signifiants.
Au-dessus de nous, il souffle des étoiles : notre cerveau se vide à mesure que les constellations exhalent leurs formes excentriques.
Il faut faire place, oublier, ne pas résister surtout, faire corps intensément, nappé de l’enveloppant manteau nocturne.
Au petit bois d’Etre, embarqué dans un passé antérieur, nous (re)devenons cette créature, mi-homme, mi-animal, en train d’écouter les cris ancestraux s’élevant dans la nuit subjuguée.
A cet instant-là, à quelques 1300 mètres d’altitude, sur une piste bordée de hêtres et de conifères, nous avons rendez-vous avec la Nyctale de Tengmalm, du nom d’un naturaliste suédois, Peter Graf Tengmalm qui s’est intéressé aux chouettes en son temps. (deuxième moitié du XVIIIème siècle).
Le nom de nyctala viendrait du grec ancien nuktalos, somnolent ; car quand on la trouve de jour, cette chouette semble, croit-on, endormie les yeux grands ouverts !
C’est plutôt son large disque facial pâle cerné d’une ligne sombre, entourant ses yeux d’or qui caractérise l’apparence de cette chouette forestière de type boréale.
Les américains l’ont d’ailleurs appelée « boreal owl »., simplement parce qu’elle a investi les forêts froides de l’hémisphère nord, là où souffle le vent de borée.
Mais alors que « l’obscurité se fait jour », la chouette boréale entonne un doux chant de huppe fasciée, qui n’a rien de funèbre comme le laisserait accroire son nom scientifique (aegolius funereus). A moins que ses appels incantatoires guident les âmes vers un autre ciel ?
Laissons les augures funestes à d’autres oiseaux et leurs orbes inquiétantes aux ornithologues déprimés. Quant à la transmigration des âmes, songez que, la providence veillant, vous pourriez bien vous réincarner en musaraigne carrelet, une des proies favorites d’aegolius funereus…
« Au renouvel du tens » nous l’entendons d’une autre façon, la « borée à chant de huppe ».
Juste prêter notre oreille à sa voix, incanter avec elle, telle est notre quête : entonner un vibrant chant d’espérance, vanter les vertus du baume printanier.
Le Puech, 04 05 2024
Sente 2 : au coeur d’une sagne traversée d’un ruisseau
Les Chants du Crépuscule
Devenir est éreintant, mais être, que ne donnerions-nous pas pour être ne serait-ce qu’un instant ? Il n’est pas question de philosopher, car à la vie, à la mort notre destin nous conduit sur ce bout de terre que nous aimons tant. Nous ne sommes jamais aussi bien avec nous-mêmes qu’à l’instant partagé d’un sourire en demi-lune, d’un regard subreptice. C’est cela même qui fait gonfler notre cœur de vagues ruisselantes, nos poumons de courant d’air envoûtant, nos neurones de sonorités enivrantes.
La nuit nous appelle de ses voix. Mais avant qu’elle n’arrive et vous couvre de son étamine légère, il lui faut tomber le jour, se parer d’abats-jours apaisants et de clairs-obscurs, pour éteindre nos blessures.
Là au bout du chemin, qui n’est qu’un bout d’un autre, nous sommes l’inconnu rayonnant. A l’écoute des chants du crépuscule.
Le Puech le 31 05 2024
Sente 3 : là où soufflent les esprits
Les Chants de l’Aube
Au petit bois d’Etre, deux jours après la pleine lune, nous voici revenu : elle est là ; plus que jamais présente, avant que ne la rejoigne dans ses dernières strophes la plus belle du jour. Elle, c’est bien sûr la nyctale. La nuit durant, sa voix pure, croisant la course de la lune jusqu’à l’aube, ne cessera d’illuminer les quatre points cardinaux d’un territoire sans limite. Certes, d’un point à un autre, ses envolées lyriques ne couvrent que quelques ares, mais, leur intensité file des étoiles, au-dessus de sombres silhouettes hiératiques.
Seul le fond d’air laisse échapper, en cet instant béni, quelques craquements assortis parfois d’un souffle ou d’une brise, et des derniers cliquetis de grillons noctambules.
Tout à l’heure, ce sera le grand réveil de tout un peuple ailé…
le Puech, 04 juin 2024
Sente 4 : Méditation d’un promeneur écoutant
Pour une Poétique Naturaliste « au rythme de la Terre »
Vivre, qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
S’est-on vraiment poser la question, sérieusement ? Non pas en la balayant d’une main rageuse, pressés que nous sommes à nous rendre à nos petites affaires qui sont, – pense t’on -, autrement plus rentables.
S’est-on un jour, une seconde, poser cette question, simplement, comme tracer la silhouette d’un ours sur les parois d’une grotte, comme chanter un air tout à coup sans y prendre garde, parce il est venu, comme ça des pieds à la façon d’un grand compositeur inventant un thème sublime en parcourant les cimes d’une montagne ?
Nos pas éveillés seraient-ils le moyen ultime de nous relier au monde ? Nos chants, la voix du chaman dansant au rythme de la Terre, en nous révélée ?
Vous ne saviez pas peut-être que l’on compose sa vie avant tout avec ses pieds, c’est-à dire avec sa chair aiguisée, avec sa lame d’âme qui s’élève en marchant, un couplet venant l’un après l’autre au détour d’un chemin ?
Car, vivre c’est être présent aux choses, aux êtres, à tout ce qui vit, au moment qui passe dans une conscience aigüe de ce qui se déroule en permanence entre la vie et la mort, dans une relation extrêmement étroite se mouvant dans les sphères du visible et de ce qui n’apparaît que partiellement, voire pas du tout, à nos sens limités.
Vivre, c’est se rendre disponible à ce qui arrive, sans nécessairement savoir quoi ; d’où une écoute quiète, sans impatience. Espérer c’est être ouvert à ce qui vient sans attendre un retour. Car, accepter de ne pas être payé en retour, c’est se permettre d’être riche au centuple de tout et de rien dans la redite des jours. Exister, c’est se mettre aussi en danger, tout pouvant arriver, y compris la dernière fraction d’une existence temporelle que l’on sait éphémère en même temps qu’immortelle puisque se recyclant dans le terreau nourricier d’un autre possible.
Ne jamais oublier que nous appartenons à l’univers, et non l’inverse ; ça change la donne et nécessairement nous place dans une disposition de celui qui est une infime fraction d’un ensemble plus vaste, dont les limites sont repoussées à mesure que l’on en prend conscience.
Vivre, c’est marcher la tête dans les étoiles et les pieds sur terre dans une même pulsation corrélée. N’est-ce pas là une étrange sensation que d’être, formidablement vivant, respirant à l’instant, parfaitement à sa place ?
L’arbre le sait bien, lui qui s’est répandu aux quatre coins de la terre, au moyen de son réseau social racinaire, partout où il le pouvait, depuis sa place, non pas en concurrence, mais à son endroit, aux côtés des autres arbres, partageant l’espace disponible sur le forum connecté que l’on appelle la forêt.
Vivre, c’est donc être à son endroit, enraciné dans les profondeurs, tout en s’échappant de la gravité. C’est tout l’histoire de l’homme et son dessein sublime ainsi résumés : se redresser pour plonger notre regard dans l’infinitude du ciel, et chanter la magnificence du monde.
Le Puech, 11 juin 2024
Un commentaire
Gerald Alayrangues
Merci Denis pour cette approche poétique et existentielle, derrière le scientifique se cache l’être !