L’oiseau qui broyait du noir.

Des cris stridents explosifs, à nul autre pareil, retentissent tout à coup entre les ramures. Aucune hésitation quant à son auteur ; en quelques coups d’ailes sûres, le voilà qui s’avise à proximité des mangeoires achalandées.

cris de gros bec le Puech le 29/01//25

Le Puech Cantal le 01/01/2025

Le gros bec de nacre a fait son retour depuis plusieurs semaines déjà. Chaque hiver, loin de sa patrie*, il vient pèleriner ici dans les contrées perdues d’ Auvergne ou d’ailleurs … pour broyer du noir.
Ne l’imaginez pas en train de se morfondre : il n’est ni nostalgique, ni ne s’apitoie sur son sort.  Car, le gros bec est un dur à cuire, mais il est surtout un casse noyau expert.
Pourtant, ce n’est pas la drupe savoureuse qu’il recherche à la rude saison, mais bien, à l’intérieur de la coque ou de l’enveloppe, le coeur, son amande riche en acides gras insaturées et en nutriments énergétiques.
Rien ne résiste à ses mandibules kératineuses, qu’il s’agisse des tendres samares d’érable ou de charme, des faînes de hêtres, de fruits d’aubépine ou de noyaux de cerise. Mais quand « il beccogrosso » trouve la bonne auberge, elles deviennent une machine à broyer du noir… de tournesol. Il n’est qu’à voir la clientèle qui s’active une fois les graines « d’or noir » mises à disposition, c’est la ruée, la volée de plumes des mésanges qui viennent les dérober.
Certain de son affaire, le mordeur de graines les décortique méthodiquement, faisant voler en éclats leur enveloppe dans les airs.
14/01/2025 le Puech.
 Sur un promontoire de circonstance, un mâle pouvant approximativement peser une soixante de grammes semble sûr de sa dominance…

 Mais qu’un compère apparaisse, et le voilà qui fulmine avant de s’engager illico presto à sa poursuite ; une aubaine pour le congénère suivant… 

Sport et bien-être telle pourrait être sa devise partagée ! Vu qu’il semble un rien enrobé, toute l’énergie dépensée doit être compensée ! Aussi, tant qu’il y pourra, il s’emploiera à casser à la chaîne une petite graine, stoïquement, puisqu’il n’y a rien de mieux à faire.
gros bec « fou de rage » le 25/01/2025

Une fois comblé, il va faire un tour ou disparaît dans quelque houx mais revient toujours, car il se sait convié !
La bête demeure farouche, sinon ce ne serait plus tout à fait une bête ; mais autant les mésanges, surtout les bluettes, viennent frapper à la fenêtre quand la graine vient à manquer, autant lui se méfie et attend que le pourvoyeur eut fini de prendre en pitié la bande des affamées. C’est alors qu’il arrive triomphalement, mais prudence est de mise, reste toujours aux aguets. Il ne viendrait à l’idée de personne de venir lui chercher noise, tant il a l’encolure qui en impose. Mais c’est un placide, sauf avec les siens comme déjà dit !  
Quand il se pointe, le balaise arrive en sautillant de branche en branche, non sans se ménager de courtes pauses au cours desquelles il examine avec gravité la situation en tournant la tête à l’entour. Quelques secondes à peine lui suffisent pour se décider. Il prend alors son poste de travail, visitant en bon ordre, tant qu’il y a du stock, chacune des mangeoires garnies, à commencer par la plus tranquille ou celle pourvue d’un toit pour qu’il se mette à l’abri au cas où il se ferait voir.
Pendant ce temps, le cœur des mésanges bat à toute allure -point n’est le moment de flâner au balcon !
Les danseuses font leur entrée pour le moins remarquée se croisant et se décroisant dans une frénésie effrontée ; parfois deux arrivent en même temps, c’est alors, – histoire d’impressionner leur monde -, qu’elles se mettent à dandiner face à face ailes écartées.
Mais, c’est à la mésange bleue que revient toujours le titre de la Prima Ballerina !
Quant au prix d’intrépidité, la mésange nonnette alias « la petite sterne des bois » le rafle à coup sûr.
Profitant de l’absence momentanée des gros becs, un bouvreuil fit le tour du marché mais ne trouvant rien à sa convenance, esquissa un brin de chant avant de s’envoler. Pendant ce temps une mésange nonnette (à 1’04) chipa une graine et l’emporta sans se faire prier. Le Puech, le 23 février 2025.
Des prix, le gros bec n’en a cure, pourvu qu’il y ait au banquet du grain à moudre ! C’est alors, pendant qu’il s’empiffre qu’il convient de l’admirer, car le bec gros, bien qu’il lui manque le turban, a des habits de pacha.
Selon comment il se présente, on ne sait quelle partie de son corps attire le regard en premier ; peut-être le poitrail et le ventre d’un rose tendre. Du rose chair lui pend aux pattes que prolongent des doigts aux ongles longs l’agrippant à quelque support comme il faut.
Un large demi-collier gris lui couvre presque entièrement la nuque. La calotte toute rouillée a la coupe au bol.
le Puech, le 08/02/2025
La nature, ne craignant pas les paradoxes, l’a doté en autres d’une tête de cascadeur et d’une cuirasse de velours. Mais ce qui frappe c’est bien le fort bec triangulaire, un blair dirait-on, qui lui mange la face et que rehausse dessous la bavette noire le cernant jusqu’au lorum des yeux. Des joues rousses comme la tête complètent le portrait de maître.
Le Puech, le 08/02/2025
Le Puech le 17/12/2024
« Tiens… une tête en l’air a laissé tomber une graine ! »
Le Puech le 25/01/2025

Avec une telle paire de cisaille, on pourrait croire qu’il se dit en son for :  » le premier qui s’approche, je le découpe en morceaux !  » A dire vrai, les petites ailes, un oeil sur lui, le contournent fissa.
le 17/12/2024
 Le gros bec ( coccothraustes coccothraustes ) arbore un manteau brun sombre ainsi que des scapulaires de la même teinte. Le croupion est roux chatoyant que couvrent parfois les rémiges lorsque l’oiseau se tient bien droit.
Les rémiges primaires sont noires et laissent voir en leur partie médiane une zone blanche bien visible en vol. Ailes repliées, les rémiges internes prennent la forme d’une flèche couleur bleu nuit, se finissant par une encoche. Les secondaires au reflet gris-bleu, selon le prisme de la lumière, sont bordées d’un délicat liseré violet. Les tertiaires quant à elles sont brunes.
Les grandes couvertures alaires sont brunes tandis que les moyennes sont blanchâtres. Les tectrices de la queue, blanches à leur extrémité ont le bord externe noir ainsi qu’à leur base ; celle-ci se révélant au moment de l’envol, lorsque le gros-bec déploie sa courte queue en éventail. Les sus-caudales sont brunes.

le 24/01/2024,

« Devant tant de prébendes, l’oiseau crut voir au ciel, passer la Providence »
le 17/12/2024

                                                 
« A quoi pouvait-il songer, posé sur une branche de pommier ?
A y réfléchir sérieusement,  la question est demeurée sans réponse ; car entre voir la vie en rose ou broyer du noir, le gros bec indécis ne put se résoudre à choisir… »                               
cris de gros bec, et divers autres oiseaux dont tourterelle turque, pie bavarde, corneille noire, merle noir, grive draine, alouette lulu, pinson des arbres, mésange charbonnière, mésange bleue concluant la séquence ; le Puech le 31 janvier 2025.

                                                                       Denis Wagenmann le Puech le 17/02/25

* Si l’on en juge aux reprises d’individus bagués, ce sont principalement les oiseaux nicheurs d’Allemagne et d’Europe centrale, traversant les Vosges et le Jura, qui rejoignent les zones d’hivernage situées dans le Sud-est de la France et de l’Italie. D’autres traversent les Pyrénées et vont passer l’hiver dans la péninsule ibérique. Les effectifs fluctuent considérablement d’une année sur l’autre. L’ampleur des déplacements post nuptiaux du gros-bec casse-noyau, et d’une manière générale des espèces se nourrissant de graines, dépend des ressources trophiques disponibles pendant l’hiver.

12/01/2025

Prolongements :

  • Article de « Zoom nature » sur le bec des oiseaux.
  • Site internet alula.com pour tout savoir ou presque sur le plumage des oiseaux
  • Atlas des oiseaux migrateurs de France tome 2, éditions Biotope/LPO/muséum d’histoire naturelle 2022
  • Paul Géroudet : les passereaux d’Europe tome 2 éditions Delachaux et Niestlé.

9 commentaires

    • Denis Wagenmann

      Merci Antoine, merci Bernard : il n’y a pas d’auteur sans lecteurs, qu’il me plaît ici de saluer et de remercier à mon tour. Sans vous tous et toutes, les chemins sonores n’auraient guère de sens. Notre terre nous a tout donné, sans compter.Je ne comprends pas pourquoi l’espèce humaine l’a malmène à ce point. C’est une des raisons qui me pousse à témoigner de son étrange et multiple beauté, à travers textes images et sons qui parcourent les pages de ce site.

  • Véronique Garcia

    Bonjour Denis
    Merci beaucoup pour ton article et ces merveilleux enregistrements qui me donnent à entendre le chant de cet oiseau étonnant!
    Je suis ravis de recevoir ta publication alors que cet oiseau vient justement de se percher sur ma fenètre pour casser la graine à l’auberge des mésanges bleues 😉 C’est un premier contact pour moi qui découvre cette petite merveille! Toutes ces informations sont bienvenues.

    • Denis Wagenmann

      A ce que tu me dis là tu me fais concurrence avec ton auberge à mésanges ! J’avoue que c’est le meilleur moyen pour les admirer à peu de distance. l’essentiel c’est d’être plus farouche qu’eux, et patient. Il paraît que les gros becs sont venus nous rendre visite en nombre cet hiver.Les oiseaux ayant une mémoire d’éléphant, se souviennent des bonnes adresses… merci beaucoup de faire partie de mes fidèles lectrices.

    • Denis Wagenmann

      Merci Gérard, cette proximité m’importe beaucoup , car un jour viendra, je l’espère infiniment, où l’espèce humaine se réconciliera avec la nature, si toutefois elle ne se saborde pas avant elle-même. On peut trouver le beau , le vrai aux antipodes tout aussi bien à quelques pas dans son jardin ; « promenons nous dans les bois », parcourons la garrigue, grimpons dans la montagne, écoutons la vie qui s’y trouve. Buvons à la source qui guérira notre esprit !

  • Muriel

    Merci Denis
    Tu nous racontes des histoires à la manière de Jean Henri Fabre avec ta poésie, ta sensibilité et beaucoup d’informations.
    Merci pour ce bel article, si agréable à lire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Translate »