La fauvette à tête noire (sylvia atricapilla)
Le chant territorial
Avertissement : les propos qui vont suivre sur la représentation du territoire dans le monde animal, et particulièrement chez les oiseaux, ne peuvent se réduire à quelques généralités péremptoires et approximatives qui ne prendraient pas en compte le particularisme de chaque espèce.
Aussi bien, nous nous contenterons de s’attacher présentement à une seule espèce : la fauvette à tête noire en rendant compte des singularités de son chant. Nous tâcherons également à ne pas fonder nos observations sur des présomptions hâtives, car en la matière le débat est loin d’être clos.
La fauvette à tête noire est, sans doute, parmi toutes les espèces de fauvette, la plus représentée sur le territoire français.
Cela ne nous suffit pas évidemment à lui porter notre attention ; la raison de notre intérêt est que cet oiseau fait partie des meilleurs chanteurs de l’avifaune européenne -certes-, mais qu’en outre, son chant est loin d’avoir révélé toutes ses richesses.
Notre propos est, à travers des captations effectuées au cours du mois d’avril de cette année, de vous révéler quelques perles sonores dont cette fauvette a le secret.
Rappelons tout d’abord, qu’en zoologie, le territoire est avant tout une étendue géographique plus ou moins grande que se réserverait un animal ou un groupement d’animaux au détriment de ses congénères.
L’accès, selon des codes bien établis, leur serait temporairement interdit ou à longueur de temps sous peine de conflit risqué.
Nous employons le conditionnel sciemment tant cette notion de privatisation d’une zone ne rend pas compte de l’élasticité d’une dimension bien plus mouvante qu’il n’y paraît de prime abord.
D’ailleurs, nous renvoyons le lecteur à l’excellent ouvrage de Graciane Despret « Habiter en oiseau » (éditions Acte Sud, octobre 2019), laquelle s’est intéressée aux recherches ornithologiques, – aux méthodes parfois controversées – sur le territoire aviaire en tant que véritable enjeu social.
Toujours est-il que cette définition du territoire bien que commode, est par trop simpliste tant celle-ci ne rend pas compte suffisamment de l’importance que revêt cette « zone d’intérêt vital » conditionnée par des critères de choix la rendant indispensable à ses occupants.
Que sont ces critères de choix qui permettent de sélectionner un lieu plutôt qu’un autre ?
Avant toute chose, il nous importe de revenir à l’essentiel :
Il est avéré que, dans bien des cas, à la lumière des reprises d’individu bagué, un oiseau revient souvent à l’endroit qui l’a vu naître. Le retour des hirondelles, sur le lieu de naissance ou dans un rayon proche, -les mâles les plus âgés arrivant avant le autres-, est aujourd’hui un fait bien connu.
Le retour sur un site préalablement familier permet à ses habitants saisonniers de ne pas perdre de temps à sa reconnaissance. Il ne s’agit pas de faire du tourisme « niais ». Un observateur assidu vous dira à quel point les animaux (mammifères et oiseaux en particulier) ont des habitudes de vie qui varient tout au long de la journée et qui dépendent de la saison mais revenant de manière régulière parfois à heures voire à minutes fixes.
Ces habitudes révèlent une intelligence des moyens mis en œuvre par leurs auteurs, et surtout un gain de temps et plus encore un gain précieux d’énergie.
Car, il faut garder à l’esprit que, l’oiseau qui n’a que quelques années à vivre pour ce qui concerne les passereaux en tout cas, et ayant maints dangers à surmonter, n’a qu’une idée en tête, une idée irrépressible : trouver un partenaire (ou le re-trouver) pour mener à bien l’objectif de « se reproduire » afin de perpétuer l’espèce.
Dès lors, ce projet passe par la nécessité de se confiner temporairement (le mot est à la mode) sur un territoire donné remplissant – sécurité oblige- les conditions de la nidification.
Pour ce faire, chacun -nous parlons du mâle- devra faire savoir à l’autre que le temps est maintenant venu de garder ses distances pour que les choses de la nature se passent en bonne et due forme…
Revenons à notre fauvette à tête noire : celle-ci arrive dans nos régions généralement courant mars et chante immédiatement comme le font la plupart des oiseaux chanteurs qui reviennent de migration. Voire même ils chantent aux étapes d’arrivée pendant tout le trajet de retour.
L’audionaturaliste aura alors remarqué plusieurs types de chants. Nous nous attacherons dans ce premier volet à vous faire écouter plusieurs situations de concert qui illustrent le chant que l’on dit « territorial » lequel est en quelque sorte un chant d’affirmation de soi, à un moment donné et à un endroit choisi.
Proposition qui n’a évidemment rien à voir avec la notion d’appropriation humaine d’un lieu circonscrit par des limites cadastrales…
Nous pourrions résumer ainsi : « je chante, donc je suis » ! tout en sachant que l’autre « est » ; ce qui va occasionner des échanges vocaux d’un tout autre intérêt et souvent d’une qualité supérieure.
A ce sujet, nous avons constaté que plus une espèce est représentée dans une aire donnée, plus les chants seront riches et soutenus ; c’est particulièrement remarquable en ville, lorsqu’il y a suffisamment de parcs et jardins, d’entendre les merles « se fouler » plus qu’à l’accoutumée car, précisément l’étendue du territoire est moindre que s’il s’agissait d’une joute à la campagne où, théoriquement, il y a plus d’espace pour se signaler.
Entre parenthèses, la fâcheuse pratique de détruire haies et bosquets, nous prive de ces concerts naturels et participe grandement à la perte de biodiversité constatée un peu partout… il n’y a pas de fumée sans feu, c’est assez simple à comprendre !
Pour illustrer ce qui vient d’être succinctement ébauché, nous vous proposons l’écoute suivante d’un duett au sens musical du terme qui n’ira pas -fort heureusement-, jusqu’au duel car, il est question ici d’échanges au caractère de joute certes, mais dans la stricte application d’un protocole tacite de bonne intelligence. Chacun des deux protagonistes s’évertuant dans le respect de l’autre à se convaincre mutuellement du bien-fondé de sa présence en ces lieux.
L’écoute demandera un certain effort à l’auditeur qui aura intérêt à mettre un casque pour apprécier la captation.
Il peut être utile de décrire le décor : la scène se situe dans un jardin très végétalisé, où reviennent les fauvettes année après année. Nos deux duettistes sont distantes, l’une de l’autre, d’une trentaine de mètres tout au plus ; l’une d’entre elle, celle qu’on entend à gauche, est située à une hauteur de quelques mètres de plus que celle de droite. Ceci a certainement son importance en ce qui concerne la diffusion du son alentour.
Se pose alors la question cruciale de la place du preneur de son – et de sa subjectivité – qui pour le coup, a utilisé un couple de microphones stéréo. Nous avions pris le parti, aussi compte tenu du bâti faisant obstacle, de ne pas nous mettre au milieu des deux chanteurs sans pour autant vouloir privilégier l’un ou l’autre.
Si l’on écoute bien, nos deux comparses chantent sur le mode de la question-réponse sans qu’on puisse évidemment affirmer laquelle pose la question et quelle autre donne la réponse. Il ne s’agit pas non plus d’une partie de ping-pong sonore qu’une position centrale de notre part aurait pu évoquer.
En outre, l’auditeur s’apercevra qu’il y a parfois une superposition des deux chants avec toutefois un léger décalage de l’un par rapport à l’autre. Bien qu’il s’agisse de deux individus de la même espèce les chants se différencient nettement l’un de l’autre, mais pour les deux on distingue la vocalise flûtée finale caractéristique.
On remarquera d’autres oiseaux s’époumonant dans le même périmètre, en particulier, une mésange charbonnière chantant près d’un nichoir qu’elle a investi avec sa compagne, sans que cela soit d’aucune gêne pour nos deux virtuoses.
Duett de fauvettes à tête noire -Le Puech Cantal
Donc, dès son arrivée, la fauvette se met à chanter, ardemment, et son chant sera autrement structuré que lorsque la période de nidification – et donc de territorialisation – sera révolue.
Ce chant d’affirmation de soi avons-nous dit que l’on pourrait qualifier d’expression tant il est éloquent comporte deux parties :
Dans la captation suivante, cette structure en deux parties enchaînées est parfaitement reconnaissable ; pendant plusieurs minutes notre fauvette assène chaque séquence sans varier d’intensité. Chacune d’entre elle dure en moyenne 5 à 7 secondes, séparée seulement par une césure d’environ 3 à 4 secondes.
Sur ce sonagramme (à 3′ 21 de l’enregistrement suivant) on repère visuellement au tout début, un très court motif, l’incipit, introduisant l’improvisation que ferme la signature flûtée caractéristique de l’espèce ; ensuite viennent une césure puis une deuxième séquence chantée où l’on reconnaît la même structure mais variée.
Voici maintenant le chant de la fauvette à tête noire captée le 18 avril 2020.
Chant de fauvette à tête noire dans un houx Le Puech Cantal-
Vous ne voyez pas son auteure : c’est normal, car elle se trouve parfaitement dissimulée dans ce houx, cerné lui-même d’un rempart d’aubépines, d’églantiers et de ronces. Cet extraordinaire biotope d’épines redoutables, de quelques mètres carrés seulement est une réserve naturelle à lui tout seul, offrant la sécurité d’une citadelle imprenable !
A l’intérieur, la nitée se prépare dans le secret ; ce foyer en coupelle ou en corbeille : « c’est un berceau que nous rêvons, sous une forme ou une autre » (Sully Prudhomme). Il accueillera en son sein éphémère le projet de toute une vie : la couvée de quelques œufs, l’inestimable trésor garant d’un futur incertain…
Denis Wagenmann Le Puech 08/05/2020