Des Animaux fantastiques
D’emblée, interrogeons-nous : qu’y a-t-il de fantastique chez les animaux ? Sans doute leurs étranges facultés qui échappent à notre entendement, avouons-le circonscrit aux frontières de nos perceptions sensorielles.
Peut-être aussi, parce que l’animal révèle la part d’ombre et cette autre de lumière, contenues en chacun de nous. Ainsi, le loup n’est pas cruel ; c’est nous qui le sommes, mais, confortablement installés dans le déni, nous nous dédouanons de nos responsabilités en accusant l’animal de tous les maux de la terre.
Selon une étude récente de l’OCDE, 43% des français seraient climatosceptiques ; en d’autres temps, pas si lointains, ils auraient été plus nombreux encore, à penser que la terre est plate.
Faut-il y voir un progrès ?
Tout ce qui déborde inquiète le pauvre d’esprit : ayant perdu sa boussole interne, il fait appel aux marabouts et à leurs ficelles trompeuses. L’ère numérique servant leurs auspices fécales ! Comment est-il possible, en effet, qu’un des plus puissants pays au monde ait pu élire un dirigeant, fort heureusement aujourd’hui défait, à ce point véreux ?
Nous avions pourtant inventé des chimères, peuplé la sphère céleste d’êtres mi-dieu, mi-animal, reconnaissant implicitement la supériorité animale sur l’homme ; en témoigne la métaphore biblique du lion ailé : celle-ci emprunte au lion sa majesté, en l’occurrence divine, tandis qu’elle subodore la parole « ailée » de l’évangile qui, dans les airs, se propage, c’est-à-dire partout autour de la terre.
Si l’humain pouvait retourner le miroir, il serait sans doute foudroyé par son propre regard tout comme le basilic ; terrorisé qu’il serait par sa quête maladive de puissance effrénée.
Faut-il qu’il boive la coupe jusqu’à la lie, pour qu’il prenne conscience de sa profonde incurie ?
L’être à la chair pensante nous trouverait, probablement, très ordinaire, sans doute stupide, même, à constater la destruction méthodique de ce que nous avons bâti avec énergie et parfois avec quelque grandeur.
Oui, nous avons besoin de l’animal, plus que jamais, car, il est notre sauf-conduit éthique. A son image zoomorphe, Dieu ne nous a-t-il pas fait ?
Ce qui est intriguant pour nous ne l’est pas en fait, pour l’oiseau qui est capable, lui, de traverser des continents, pour aller d’un point à un autre, sans se tromper et surtout sans l’aide d’une cartographie sinon mémorielle, magnétique ou stellaire.
Ce qui est déroutant, c’est la capacité de notre compagnon canin à sentir des odeurs, bien mieux que nous pourrions le faire, avec ses 225 millions de cellules nerveuses olfactives contre 40 millions pour ce qui nous concerne, nous les humains.
L’esprit curieux des merveilles de la nature, s’enthousiasme des capacités d’adaptation du monde du vivant, depuis des millions d’années, à des conditions climatiques extrêmes et à des situations extrêmement variées dans un environnement propice à tous les dangers.
L’une des facultés animales les plus prodigieuses est sans doute l’adaptation de certaines espèces à voir et à entendre simultanément, parfois même à sentir, généralement de nuit, tout en se mouvant avec une aisance déconcertante relevant pour ainsi dire d’une performance artistique aboutie.
Ce système de perception sonore incroyablement rapide, fondé sur l’écho, permettant l’orientation et la détection d’objets y compris en mouvement, est ce que l’on appelle l’écholocation.
Son principe est le suivant :
Un signal ultrasonore est émis grâce à un sonar sous forme de clics, à des fréquences élevées, pouvant atteindre plusieurs dizaines de kilohertz, voire plus selon les espèces, afin de localiser des proies, d’éviter des obstacles, donc de s’orienter ou pour communiquer avec des congénères.
Lorsque ce son atteint par exemple un obstacle une paroi, un arbre ou un insecte, il est aussitôt renvoyé sous forme d’écho. Parvenu au cerveau de l’émetteur, doté d’un appareil nerveux auditif pour le moins des plus développés, il est alors immédiatement scanné sous toutes ses coutures, forme, taille, distance, vitesse, sens du déplacement etc… L’analyse terminée forme alors une représentation mentale parfaite de l’objet rencontré.
Dans le règne animal, parmi les espèces utilisant le principe d’écholocation pour s’orienter, il existe un oiseau tout à fait « fantastique », capable de se déplacer dans le noir le plus total grâce à son sonar.
Il s’agit du Guacharo frugivore, une espèce rupicole, vivant dans les montagnes d’Amérique du Sud, de la Bolivie au Venezuela où il fut découvert en 1799 par Alexandre von Humbolt et son équipe au cours de l’une de leurs explorations du « nouveau continent* ».
*Alexandre von Humbolt : « Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent ».
« L’oiseau-huile » (oilbird), ainsi désigné en anglais, (ou steatornis caripensis « oiseau gras » en latin), pour ses capacités à emmagasiner des réserves adipeuses dans ses tissus, gîte dans des grottes où il se reproduit en grand nombre, ne sortant de son antre que pour aller se nourrir de fruits dans les forêts voisines.
Proche des mœurs des caprimulgiformes, à l’ordre duquel il appartient, cette sorte d’engoulevent, lorsqu’il quitte son gite diurne à la nuit tombée doit, pour trouver l’issue, se frayer un chemin à travers les dédales caverneux. Il utilise, pour ce faire, la réflexion sonore provenant des parois rocheuses après que leur syrinx eut émis des signaux d’écholocation, sous forme de trains d’ondes, se succédant à des fréquences situées entre 10 et 20 khz.
Une fois que l’oiseau est sorti de sa grotte, sa vision scotopique (vision nocturne obtenue par les bâtonnets rétiniens) très sensible prend le relais pour se repérer dans le labyrinthe forestier tandis que son odorat ultra performant fait le reste pour le guider vers les fruits convoités, en particulier les noix de palme.
Pour plus de détails concernant l’improbable « oiseau chauve-souris », nous renvoyons le lecteur à l’excellent article de Thomas Pagnon, paru dans le numéro 36 de juillet/août 2020 de la non moins excellente revue d’histoire naturelle « Espèces ».
S’il y a un animal auquel nous pensons tous, immédiatement, lorsqu’il est question d’écholocation, c’est bien sur la chauve-souris. Car, cette créature, surfant dans la sphère des ultra-sons, fascine autant qu’elle effraie.
Qui, d’ailleurs, n’a jamais regardé au moins quelques un des 120 épisodes de série télévisée qui ont consacré le super héros, désormais bien connu, Batman, ou bouquiné l’une des BD comics relatant ses exploits délirants ?
Reconnaissons que la contre-façonne humaine paraît sans grande consistance, et fait figure de pâle imitation, par rapport aux faits réels des « mains ailées ».
L’univers stupéfiant des chiroptères étant immense, nous nous contenterons d’évoquer quelques généralités nécessaires pour appréhender leurs prouesses tant aériennes que sonores qui, par bien des aspects, restent encore à explorer.
Toutes les chauves-souris partagent un moment ou à un autre une portion du ciel, entre le niveau du sol et la cime des arbres, pour chasser les insectes qui constituent, pour la totalité des espèces européennes, le régime alimentaire exclusif.
Pour s’orienter, et par voie de conséquence pour détecter leurs proies, tout en échangeant indirectement des informations de plan de chasse entre partenaires, les différentes espèces se répartissent une bande de fréquence balayée par leur sonar respectif.
Ainsi, par exemple, la famille des rhinolophes « au nez bordé d’une crète » va, en vol de chasse, explorer la frange sonore située entre 78 et 85 kilohertz (Khz) pour le grand Rhinolophe et entre 104 et 114 Khz pour le petit Rhinolophe. Là où cela se complique, c’est que certaines espèces de la même famille ou d’une autre, déroulent une bande de fréquence proche, on parlera alors de bande de fréquence de recouvrement : ainsi le sonar du Rhinolophe d’Euryale oscille entre 101 et 106 KHz, et recouvre donc en partie la bande de fréquence du petit Rhinolophe.
140822 2 petits rhinolophes discutant 112 à 114 khz, suspendus au plafond d’une étable Le Puech Cantal –
Cependant, d’autres critères d’appréciation, non seulement comportementaux, entrent en ligne de compte pour leur identification, notamment le pic d’énergie atteint par chaque espèce, lorsqu’un individu passe à l’aplomb du système de détection.
Des clés d’identification du cri des différentes espèces sont établis à partir de la structure ou forme fréquencielle et de la durée de celle-ci mesurée en milli-seconde.
Par exemple, on parlera de fréquence modulée, pour un cri ayant une pente descendante, de fréquence modulée ascendante quand l’appel est montant, de fréquence constante ou quasi constante quand il ne varie pas ou très peu.
Ainsi, les cris d’écholocation de la famille des rhinolophes apparaissent sur le spectrographe avec une structure bien caractéristique :
Une courte fréquence modulée ascendante suivie d’une « longue » fréquence constante (44ms environ) qui elle-même se finit par une courte fréquence modulée descendante.
La plupart des espèces européennes émettent de cris en forme de L, avec un enchaînement faisant apparaître une fréquence modulée descendante, suivie d’une fréquence quasi constante. C’est la partie terminale en fin de cri, dite fréquence d’aplanissement, qui les distingue.
Par exemple, le sonar de la pipistrelle commune balayera une bande de fréquences entre 40 et 60 Khz.
Chaque séquence de cris se distinguera selon que la chauve-souris est en phase de recherche, d’approche d’une proie. Au moment où elle est pour la saisir, les clics se précipitent ainsi que l’on peut l’entendre dans la captation ci-dessous :
160822 pipistrelles communes 52 à 54 khz en chasse vol bas linéaire aller retour Le Puech Cantal –
La magie opère : le mélomane que nous sommes croit entendre par moments les rythmes complexes du duo rassemblant Ustad Alla Rakha et son fils Zakir Hussein, prodiges indiens du tabla !
Pour donner une échelle de grandeur pour ceux et celles qui ne manipulent pas tous les jours les Kilohertz, rappelons qu’avant un concert, le premier hautbois d’un orchestre symphonique « donne le la » pour que tous les instrumentistes de l’orchestre puissent s’accorder sur sa fréquence située à 440 (442) hertz. Le cri d’une pipistrelle, émis à 44 kilohertz, aura une fréquence 100 fois plus aigüe que le la du hautbois ci-dessus, et sera « bien entendu » inaudible à tous, y compris aux oreilles des musiciens, quand bien même celles-ci seraient absolues…
Les prises de son choisies pour illustrer nos propos ont été réalisées sur le principe de la détection hétérodyne.
Pour faire simple, ce procédé physique, appliqué à la modulation de fréquences radiophonique, permet d’entendre, dans la zone de confort de l’audition humaine, des sons qui sont compris dans la gamme des ultra-sons (en moyenne au-delà de 20khz).
Il repose, grosso modo, sur la différence de deux signaux mélangés entre eux, celui provenant du détecteur hétérodyne, réglé par un variateur sur une fréquence constante entre 16 et 120khz voire plus selon les appareils, et celui émis au plus fort de son amplitude par le sonar de l’animal.
Dès lors, le battement de fréquences ainsi créé devient humainement audible.
« La nuit n’est pas de tout repos », et il est fort à parier que nous ne trouverions pas le sommeil, si nous avions une ouïe capable de tout entendre.
En effet, les chauves-souris ne sont pas les seuls animaux à participer à la production d’ultra-sons, pendant la nuit ; un certain nombre d’espèces d’orthoptères les emploie pour communiquer. En particulier, nombre de sauterelles et decticelles.
A l’abri du feuillage d’arbustes, la decticelle carroyée, émet des clics aux alentours de 26/28 khz, au moyen de ses mandibules. L’enregistrement qui suit donne à entendre des informations probablement liées à la phénologie reproductive de l’espèce.
240822 decticelles carroyées, à 28 KHz dans un laurier tin Le Puech Cantal 0h41 –
Pour qui veut aller plus loin dans l’exploration des chiroptères et des orthoptères, nous ne saurions que trop recommander les ouvrages suivants parus aux Editions Biotope :
- « Ecologie acoustique des Chiroptères d’Europe » de Michel Barataud
- « Les Chauves-souris de France, Belgique, Luxembourg et Suisse » de Laurent Arthur et Michèle Lemaire
- « Orthopères de france, Belgique, Luxembourg et Suisse » de Eric Sardet, Christian Roesti et Yoan Braud
Denis Wagenmann, le Puech, le 31 08 2022