Dans les Interstices du Silence…
« Celui qui regarde intensément perçoit, dans les interstices du silence, le monde autrement. Il le transfigure. Ce n’est plus factuellement un oiseau qui passe, mais l’univers entier déployant ses ailes. Le Poète est le Voyant, qu’il soit magicien des mots, des matières, des couleurs ou des sons.
Les quelques textes ci-dessous sont autant d’instants poétiques vécus. Ils doivent leur inspiration à l’art du haïku – tercet structuré et sans rimes – dont le sublime dessein réside dans la stupéfaction de l’esprit que les bouddhistes appellent satori « l’illumination ».
Les grands auteurs japonais du genre – les Bashô, Issa, Buson, Shiki et tant d’autres- maîtrisaient à la perfection cette manière concise de dire le tout avec peu de choses, c’est-à-dire sans le superfétatoire, en rendant celles-ci extrêmement vivantes.
Non dénués d’humour et fins observateurs de la nature, ils savaient voir et rendre avec une intensité particulière la beauté de chaque seconde.
Leur art séculaire, plus contemporain qu’il n’y paraît, délivre un modèle de savoir, d’une grande sagesse, en même temps qu’un mode de vie, sans concession, particulièrement salutaires en ces temps d’invraisemblables discordances. »
Denis Wagenmann, le Puech 31 décembre 2023
Poèmes courts
entre aphorismes et haïku
« Sans la poésie
la vie à mourir d’ennui –
esprit évidé »
« Cent cormorans au dortoir
le cent unième se presse
hélas, plus de place ! »
« Miroir de soleil –
dans le moindre des recoins
c’est le jour la nuit ! »
« Derrière la lune
hulule un oiseau de nuit –
nuages épars »
« Dans le rai du soir
les moustiques vont au bal –
bonheur partagé »
«
« Coulemelle à deux piliers –
un imposant temple khmer
est sorti de terre »
« Un poisson est mort
sur son ventre immaculé
une mouche attend son heure… »
« Un poisson est mort –
sous les baisers d’un têtard
l’amour a un goût amer »
« Sur leur fil les serpillères
épongent sans sourciller
les nuages éplorés »
« Le râteau dans le placard
rêve aux couleurs de l’automne
en petits tas rassemblées »
« Incessantes pluies
nulle feuille à ramasser
le râteau déprime »
« La Nouvelle Année !
un chat ouvre un oeil
puis aussitôt le referme »
« Cri cri cri cri cri
une sauterelle se dit :
qui donc passe ici ? »
saurez-vous répondre à la question posée ? la bonne réponse se trouve dans la prise de son ci-dessous.
« Meilleurs voeux de Bonne Année
l’hibiscus fleurit –
délicate offrande »
« Tant de biches pour un cerf –
les bois sont inquiets
de si grande solitude »
« Des pépites sur le sable
à peine données
l’océan les a reprises »
« Exercice au vol –
le pinson mâle se prend
pour un colibri »
« Derrière une vitre
un papillon à genoux
languit du printemps »
« La prière terminée
le papillon un instant
applaudit sans bruit »
« Oh ! l’hiver est arrivé –
las le chêne marcescent
fait la sourde oreille »
» Le merle c’est moi –
stupéfaction générale
au balcon désert »
« Moi le merle noir –
les moineaux tous occupés
pas de réaction »
« Trois haïku se suivent
en se tenant par la main –
voici leur histoire »
Le premier dit :
« Au bord de la route
un maraîcher vient jeter
le trop d’invendus »
Le second pointe du doigt en s’esclaffant :
« Courgettes et potirons
dévalent la pente
à toute vitesse »
Le dernier conclut navré :
« Arrivés en bas
ils plongent dans le courant –
nul ne vient les repêcher »
« Le maître vient et repart –
n’entend pas le chien
– longtemps – qui aboie »
« Jadis dans les buissons
les oiseaux donnaient
d’épineuses conférences »
« La voix de l’hypolaïs
donne l’impression
d’être deux à lui tout seul »
« La mésange bleue
à la vitre s’impatiente –
eh ! mangeoire vide »
« La même aussi bleue
à la vitre tend l’oreille
y’ a t-il une âme qui vive ? »
« Qui est nous ? Est-ce le moi
d’un autre pays ?
– voyage intérieur »
« En verve un pic vert
peupleute à tout va –
janvier a changé d’habit »
« Les jours grandissent à vue d’oeil
une moitié de janvier
s’en serait-elle aperçue ? »
« Les gens courent après le temps
qui en a tant vu passer –
haussement d’épaules ! »
« Le temps fidèle à son art
n’est pas du genre pressé –
et pourquoi le serait-il ? »
« Une queue tressaille
à lézarder au soleil –
chaleur de l’hiver »
« Dans le brouillard froid
une silhouette figée –
le grand pin des Dieux »
« la mine allongée
l’ombre à petits pas se hâte –
une autre la suit »
En ce jour du 23 janvier 2023, la vie m’a comblé d’une nouvelle fleur d’hibiscus, d’un chant de grive draine, du retour d’une amie.
« L’hiver s’est défait
de ses oripeaux glacés –
le chant de la grive »
« Le ciel est d’azur –
les brumes font grise mine
aux chants printaniers »
« Jusqu’au firmament
l’aube soulève le ciel –
la brume regimbe »
« Les ombres happées
l’aube se ramène au jour –
instant suspendu »
Ce matin, l’alouette lulu répond à la grive draine (25 janvier 2024) :
« Dans ses yeux j’entends
la chanson de l’alouette –
l’aurore est d’amour »
« J’entends sous les feuilles
une armée de vers de terre –
jardin retourné ! »
la maison est cernée de chasseurs ; deux d’entre eux, un père et son jeune fils tous deux munis d’un fusil…
« A l’orée du bois
deux chasseurs dont un enfant –
Où est l’ennemi ? »
« L’assembleur de mots
enseigne les petits faits –
tremblement de terre »
« Bâsho pour dormir
c’est sans compter la punaise
à mon bras pendue »
« Tombant de sommeil
je me vois m’assoupissant
le livre lâcher »
« Ruine ou champ de blé
l’homme est libre de choisir –
le chant du coucou »
« Admirez les fleurs
y compris le liseron
indéracinable ! »
« Ses labelles m’enlaçant
je tombe à ses pieds –
la belle à l’odeur de bouc »
himantoglossum hircinum (alias orchis bouc)
Matin magique, des constellations serties de lambeaux de brume… (03 février 2024)
« Accroc réparé –
l’aiguille à brume recoud
l’âme effilochée »
« L’étoile avec art
tend ses haubans de rosée
par petites gouttes »
« Une étoile est née –
quelle chance a le poireau
d’être son amarre ! »
« La tisseuse étoile
a plus d’un tour dans son sac –
désir infini »
« Un fil en travers
me détourne du chemin –
projet repoussé »
« A peine germé
le gland déjà vénéré –
vertu de patience »
« Le balai passé
la poussière dispersée
à un autre endroit »
« Saisi par le froid
février piqué au vif –
fleurs de perce-neige »
« Brouillard pénétrant –
la criante vérité
saute aux yeux éteints »
« Vogue au bout du nez
dans un halo moutonné
la barque de lune »
« Le bois jusqu’au ciel
se remplit de la clameur
des grives mauvis »
« Les grives mauvis
se préparent au grand voyage
et le font savoir »
« Une grande aigrette
une plume a oubliée –
se sent-elle plus légère ? » (lac d’Enguirande, Lot, le 19 février 2024)
« Les doigts effleurés
il n’est rien de plus soyeux
la plume d’aigrette ! »
« Un saule courbé
une plume a repêchée –
la mare soupire »
« D’une plume atteint
je consens à disparaître
avec l’alouette »
« Une feuille sauteuse
un crapaud n’en revient pas –
l’emporte le vent ! »
« Il brave les flots
avec son bouclier blanc –
le cincle plongeur »
« Dompteur du torrent
le cincle cingle les flots –
claquement de fouet »
21 02 2024 17h45 le Puech Cantal quelques centaines de grues cendrées sont chahutées par d’intenses rafales de vent annonçant des paquets de nuages.
« Des constellations
dans la tourmente du vent –
ciel de grues cendrées »
« Me souvenant comme si c’était hier, une fin de journée de novembre…il y a bien longtemps «
« Vol de grues cendrées –
tristement admiratif
à les voir partir »
« Rouge-gorge au vent –
dans l’air du soir un ruisseau
délicieusement »
« Une gorge en feu
distille dans les ramures
un philtre d’amour »
« Ivresse des fleurs –
du chèvre-feuille au nectar
rêvent les bourdons »
« Un cul blanc s’adonne
à son loisir favori
taquiner les fleurs »
« Le vent tourmenté
ne sait dans quel sens tourner –
qui l’apaisera ? »
« L’orbe du milan
une voile sans effort
en apesanteur »
milan noir de retour de migration, le Puech Cantal le 19 mars 2024
« Démesurément
l’homme arrache les forêts –
espérance ôtée »
« La lune cendrée
esquisse dans son berceau
un brin de sourire »
« Petits clics de bec –
les pouillots aiment les fleurs
et leurs moucherons »
pouillot véloce dans un prunus
« La mémoire humaine
à la fin que reste-t-il ?
une aria d’oiseau »
« La beauté de l’âme
une musique à vibrer –
mon Dieu le bouvreuil ! »
« Depuis quelques jours , les roitelets « descendent de leur piédestal », inspectant les bas quartiers royaux, en quête d’une menue sustentation. »
« Le vif roitelet
de trois bandes couronné
ne tient pas en place »
« Un canard colvert
déporté par le courant
ne résiste pas »
« Ses pattes palmées
se jouent à la perfection
des plus forts remous »
« Même balloté
son assurance m’émeut
le bouchon flotteur »
« Happer la fragrance
au filet à papillon –
grappes de glycine »
« Une ivresse bleue –
il n’y a aucune feuille
à la floraison »
« Dans les grappes bleues
on devine les bourdons
remplis d’émotion »
« Les fleurs de glycine
effusent un parfum puissant
dans les alentours »
« Un grain de beauté –
dans le coin gauche du ciel
chante l’alouette »
« Elle se fait voir
dans les joncs ou les roseaux –
la phragmite en joie »
« l’esprit de ces lieux
a le regard envoûtant
des hirondelles des sables »
« L’aigrette lévite
au-dessus des flots muets –
océan étal »
« Suspendre le temps
avant qu’il ne vous saisisse
à l’instant rompu »
« Au plus haut du pin
le troglodyte mignon –
on n’entend que lui »
« Fendant le brouillard
où vont-ils les martinets
à si vive allure ? »
« Réveil en sursaut !
sait-on pourquoi en plein jour
la forêt hulule ?
« Un coup de maître
a réussi le coucou :
berner l’hochequeue ! »
« Chut ! l’artiste joue
avec les sons du silence
et me laisse coi ! »
« Elle se prélasse
à tout le jour et la nuit
au coeur d’une rose »
la léptophye ponctuée leptophya punctattissima
060824 le Puech Cantal
4 commentaires
Le Guinio
Bonsoir,
Nous avons écouté le son du dectique à front blanc et nous pensons avoir entendu derrière:
Ma fille Lou un chien qui halète
Mon conjoint Fred un homme qui scie
Et moi Claire un vélo qui fait un sprint!!
Bonne continuation à vous
Denis Wagenmann
« Beaucoup pédaler
peut scier les pattes –
y compris celles d’un chien »
merci pour votre écoute.
Bénédicte
Alors, chez nous Saïan pense à une luge, Rémi à un train à vapeur. Quant à moi j’avoue que le vélo, voir même un vélo électrique me semblait plausible mais j’opterais peut être pour un vélo rail…
Denis Wagenmann
Tout l’intérêt de l’écoute est d’écouter! Nos perceptions sont très souvent frelatées par ce que l’on croit avoir entendu, compris…cela provient aussi bien de notre état d’esprit du moment, de nos croyances, préférences, de notre culture conceptualisée, très focalisée sur un sens au détriment des autres ou tout simplement parce l’attention requise n’était pas au rendez-vous de l’expérience. En fait, toutes les réponses sont bonnes si on considère que l’imagination a son mot à dire. Et elle l’a ! Elle permet de surfer, glisser sur le réel. Sans elle, il n’y aurait pas de création artistique.
Quant à la prise de son, il s’agissait d’un vététiste allant à bonne allure. Je l’ai conservé car il ne nuisait pas au chant du dectique.