Oiseaux
Oiseaux
« Oiseaux de rêve, oiseaux de jade, d’estampe, par myriade
Multicolores, d’ébène ou d’ivoire, oiseaux de nuit, au manteau de neige,
Oiseaux du ciel et de la terre,
Oiseaux des bois,
De plein vent ou de haute mer, à qui sont déférés les honneurs divins, de vertu et de courage.
Oiseaux de dignité qui portez ma plume jusqu’au rivage de l’intime, je vous admire à genoux !
Vos rémiges aux propriétés sustentatrices ont l’audace du Très-haut vertige.
L’air et l’eau se plient à vos prodiges innés.
De quel miracle, tenez-vous cette volonté inflexible et reviviscente ?
N’est-ce pas là, le trait de génie d’une nature incroyablement inventive ?
C’est à vous, du reste, et non point à l’homme corrompu que « l’esprit des lois » a conféré la précieuse alula* qui vous porte. Et avec elle, la maîtrise des tumultes aériens.
Remous et tourbillons n’ont de prise sur vos couvertures alaires.
Et vues d’en haut, les contingences terrestres semblent bien vaines.
Quel bonheur de voir la déferlante glisser ainsi sans heurt au souffle d’un vibrant alleluia, sur une ligne de portée où grisolle la grâce d’être vivant.
On devine au milieu de la tourmente, un séraphin décrivant des orbes sûrs au dessus de sociétés à l’agonie, où la violence semble être l’effroyable règle.
Je vois du cœur battant à travers vos yeux perçants, et je vole de vos ailes de vent d’un pays à l’autre, de gorges profondes aux sommets de brumes éthérées.
En bas, les petits hommes gris procrastinent. Qu’attendent-ils ? Ne savent-ils pas que le myosotis bat pavillon d’oreille ? Que les fleurs odoriférantes entendent les frétillements d’abeilles ?
Humains ! Songez à la branche reconnaissante au bout, tout au bout de laquelle chante le ciel. »
Denis Wagenmann, le Puech le 21 octobre 2024.
* Alula : ensemble de quelques petites plumes appelées polliciales, situées sur les petites couvertures, qui permettent d’atténuer les effets du vent pendant le vol et notamment à l’atterrissage.
Oiseaux des bois
La grive musicienne (turdus philomelos)
La grive musicienne fait partie des oiseaux dits chanteurs.
Mais qu’est-ce donc qui distingue la musique du bruit ?
Lorsque chante la grive musicienne, le promeneur écoutant remarque deux choses au moins :
l’oiseau chanteur écoute non seulement ses partenaires de chant du moment mais aussi s’écoute lui-même.
C’est particulièrement vrai pour la grive musicienne dont la structure du chant entrecoupée de silences lui laisse le loisir d’organiser sa performance, quasi instantanément, en choisissant dans son bagage musical tel ou tel motif le plus adapté à une joute parfaitement exécutée.
Tantôt elle reprend un motif entendu, tantôt elle en prend un autre pour notre plus grand plaisir et sans doute pour le sien également.
Oiseaux des roselières
La phragmite ds joncs (acrocephalus schoenobaenus)
Chacun sait à l’énoncé du mot roselière qu’il est question d’un type particulier de végétation, associé aux étangs, à certains marais et parfois aussi aux canaux. Dans notre imaginaire, cette formation végétale les ceinture, à tout le moins borde leurs berges sur tout ou une partie.
Les plantes qui constituent la roselière peuvent être de plusieurs types.
En formation homogène dense, la roselière a pour nom phragmitaie quand il s’agit de phragmites, littéralement « des sortes de roseaux » ; c’est donc par simplification que les phragmites sont appelés communément roseaux.
Son nom botanique en latin est phragmites australis, le phragmite austral ; dans la classification des plantes, il fait partie de la famille des poacées, une variété de graminées à longues feuilles, dont les épis peuvent atteindre 2m de hauteur. Dotés d’un puissant rhizome traçant, les phragmites participent au maintien des berges. Fauchées, leurs tiges vigoureuses peuvent servir à fabriquer des clôtures, d’où l’étymologie grecque de son nom qui désigne une palissade, une clôture.
En association avec d’autres plantes, on utilise les « roseaux » en phyto-épuration, notamment pour filtrer les eaux usées. Ils sont d’une grande efficacité à cette fin.
De nombreuses espèces d’oiseaux ont investi les roselières où elles se sont parfaitement adaptées ; qu’il s’agisse de quelques ardéidés, ou de passereaux paludicoles, tous trouvent dans ce milieu particulier, à la fois de quoi se nourrir à discrétion et un lieu secret où ils pourront dissimuler leur nid et élever leur progéniture avec une certaine sécurité.
Parmi les passereaux des marais inféodés aux roselières, il en est plusieurs qui se font remarquer non pour la beauté de leur plumage, d’aspect généralement uniforme, -à quoi beau se montrer si ce n’est point pour être vu -, mais pour leur chant prolixe.
La phragmite des joncs (acrocephalus « à tête pointue » de son appellation scientifique) est singulière à bien des égards ; curieusement dénommée puisque son nom combine celui de deux plantes, elle attire l’attention au printemps par d’interminables vocalises d’une complexité rythmique qui ne cesse d’étonner.
Le comportement du volatile s’exclamant, qu’il soit posé ou en vol, est à l’image de son chant : exubérant ! le qualificatif est faible au regard de l’activité incessante de l’oiseau-cascadeur qui est capable de vocaliser à tue-tête pendant plusieurs dizaines de minutes sans s’interrompre ou presque, ne s’accordant que quelques instants de chasse entre les deux ou trois postes de tirade qu’il a privilégiés sur un territoire restreint mais ô combien farouchement gardé.
L’enregistrement suivant provient d’une captation réalisée dans la dernière décade d’avril à l’entrée du hameau de Porteaux dans le département de la Manche. D’autres phragmites, à distance respectable, faisaient montre « d’une activité volcanique ». A cette période de l’année, l’attitude éruptive de notre oiseau, à l’instar de ses congénères, donne le sentiment qu’il joue en ces instants cruciaux « le jour de sa vie ». A peine revenu de ses quartiers d’hivernage subsahariens, il lui faut le plus tôt possible trouver partenaire ! Il doit alors sortir le grand jeu, en se mettant en évidence le long d’une tige de roseau ou mieux à quelques mètres de hauteur sur une branche de tamaris où il pourra arroser les alentours de salves éraillées, n’hésitant pas au bout d’un moment à se lancer dans les airs tout en chantant avant de retomber à quelques longueurs de là au milieu de la roselière. Le manège recommencera à l’identique pendant une grande partie de la matinée. C’est à cette occasion, que l’oiseau se laisse voir plus volontiers, révélant en particulier ses larges sourcils blanchâtres.
Les variations d’une intense narration, ainsi qu’un comportement singulièrement volubile expriment, chez la phragmite des joncs, une force de vie qui a de quoi impressionner un auditoire exigeant, qu’il s’agisse d’une femelle courtisée, d’un voisin dont il faut se distinguer ou, anecdotiquement, d’un naturaliste de passage amateur de sensations fortes…
Un an plus tôt, au jour près, mais à environ 600km de Porteaux, une phragmite des joncs a élu domicile dans une portion de roselière bordant l’étang de Lachaussée dans la Meuse.
4 commentaires
Vernin
Bonjour Denis, je tenais à te remercier et te féliciter pour tes enregistrements merveilleux, tes mots poétiques et le partage de ton savoir et de tes réflexions. Sandrine Vernin.
Denis Wagenmann
Les mots, les sons à fortiori la musique et la poésie, et d’une manière générale les arts, auxquels j’associe les sciences quand elles sont au service de la connaissance et du bien être de tous, n’ont de portée que s’ils trouvent écho dans le coeur merveilleux et l’esprit éclairé de celui ou de celle qui les accueille.
Merci infiniment Sandrine pour ton retour qui donne sens à ce travail que je mène avec passion.
Denis
Véro Garcia
Bonjour Denis
Je te remercie infiniment de ton travail passionné envers les oiseaux et leur musique. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que je ressens le même désir de partager la beauté et l’inepuisable vitalité des fleurs sauvages de ce pays. Ensuite parce que le chant de la grive évoque pour moi un printemps perpétuel à chaque écoute, le cri du busard des marais, celui du ciel encore habité où tournoie le Milan royal au dessus de ma tête- c’est une grâce , et enfin parce que tes actions me réconfortent : réenchanter la nature est une action aussi forte que replanter des arbres !
Denis Wagenmann
C’est plutôt l’esprit de l’homme qu’il nous faut réenchanter ! Nous sommes nombreux à penser que la nature quand bien même celle-ci peut être rude parfois, dangereuse même, est une source d’émerveillement inépuisable. Qui que l’on soit, il faut garder à l’esprit, je crois, ce que Darwin disait : « l’homme est une espèce comme une autre ». Nous avons notre place dans ce monde, ni plus ni moins, nécessairement en responsabilité. Je connais et apprécie grandement ton sens du partage et ton amour passionné pour la nature, en particulier les plantes. C’est aussi dans la mesure de mes compétences, ma démarche : faire connaître, pour faire aimer. Merci à toi pour cela aussi.
Denis